INTER PAS NET


Chapitre premier : un nom à la con

Je n'ai jamais aimé mon nom. Je l'ai toujours trouvé complètement nul, sans
saveur, et sans rapport avec ma personnalité. Mais je l'ai au moins
toujours cru unique, bien que je ne me sois jamais franchement lancé dans
une recherche à ce sujet.
Avouez : Mariton, ça ne brille pas.
Cela dit, je n'ai jamais eu d'homonyme à l'école (ça c'est l'avantage
d'être fils unique) et mes condisciples ne faisaient pas de commentaires
sur mon nom (et ça, c'est l'avantage de grandir vite et d'avoir la
meilleure droite de toute la cour des grands).
Mes parents sont morts quand j'avais 19 ans, et n'ayant pas de famille du
côté de mon père, je me croyais franchement le seul Mariton de France, ou
du moins du coin.
Quand je me suis lancé dans la micro-informatique, essentiellement pour les
jeux, je suis rapidement devenu un accro. Mon Mac et moi, moi et mon Mac,
on ne se quittait plus. J'en ai même rapidement eu un deuxième : mon gros
7200 à la maison, et partout ailleurs un PowerBook. A ce point qu'au boulot
on me surnomme « l'écossais ». Parce que MacMariton. Amusant. C'est fou ce
que c'est amusant, des collègues de bureau.
C'est au bureau que j'ai découvert Internet, et ça, ça m'a tout de suite
botté très fort. Je suis très rapidement devenu un maniaque du net. Sans
être un spécialiste, juste un avide de connexion. Voir des trucs, parler à
des gens, tout savoir avant les autres. Et puis je trouvais ça magique.
Plus de distances, plus de temps. Je suis même allé jusqu'à me prendre un
portable que je pouvais brancher sur mon Mac pour pouvoir me connecter de
n'importe où. Ca douille, c'est lent, ça coupe souvent, mais je ne saurais
plus m'en passer. J'ai une copine chez qui je vais de temps en temps passer
quelques jours, à la campagne, qui pousse des cris d'orfraie quand elle me
voit me connecter de chez elle, sur un banc dehors. Elle dit que je ne sais
plus vivre. Moi j'ai toujours connu les vieux qui lisaient leur courrier
sur des bancs, mais bon.
J'ai un e-mail, bien sûr. Un Mel, comme on essaie de nous faire dire.
Ecrire. Mon adresse, c'est mariton@internul.com. Ils sont sympas chez
Internul. C'est mon provider, comme on dit. C'est deux mecs de mon âge qui
ont monté ça. Je les aime bien, et on est rapidement devenus amis. Il y a
Bruno et Marc. Deux redoutables glandeurs, qui vivent sous perfusion de
Coca, qu'on ne voit jamais qu'une souris dans une main et une part de pizza
froide dans l'autre. Le prototype du bidouilleur, toujours en train de
fouiner. On n'en parle jamais, mais je les soupçonne de franchir de temps
en temps la ligne virtuelle (c'est le cas de le dire) qui sépare le
bidouilleur du pirate. Mais ça ne me regarde pas, ils sont adorables, on se
voit régulièrement, ils ne me font pas payer mon accès au net, et ça me va
très bien comme ça.
Alors quand tout a commencé, c'est évidemment eux que je suis allé voir...



Chapitre deuxième : des doigts pleins de gras

Il devait avoir les doigts pleins de gras, le mec qui a tout déclenché. Il
faut dire aussi qu'il y a eu un concours de circonstances. Même les deux
zigomars l'ignoraient, mais en Estonie il y a un provider internet qui
s'appelle Internyls. Avec un y. Et puis le Y c'est juste à côté du U sur un
clavier. C'est ça qui a foutu la merde. Le type voulait écrire à un dénommé
Mariton chez Internyls. Et comme il avait les doigts pleins de gras, c'est
arrivé chez Internuls. C'est à dire chez moi. Mon jour de chance, quoi. Le
mec avait du manger son Bortsch avec les doigts.
Alors un beau jour, je me retrouve avec un e-mail auquel je n'ai rien
compris. C'était du texte sans queue ni tête, et j'ai eu beau essayer tous
les encodages sur mon navigateur, je n'ai pas pu en tirer quoi que ce
soit. Je me suis donc dit que j'allais au moins renvoyer son message au
mec, histoire qu'il sache que ce n'était pas allé où il voulait, puisque
manifestement ça ne m'était pas destiné. Et c'est là que la subroutine du
mail m'a retourné le message : adresse inconnue.
Là j'ai commencé à trouver ça un peu lourdingue. J'aurais pu tout
simplement balancer ce mail à la poubelle, mais la curiosité a été la plus
forte, et je suis allé chez les internuls. Bruno n'était pas là, mais Marc
avait du temps à perdre, et je lui ai raconté mon histoire. Il m'a dit : «
fais voir » et avant que j'aie pu répondre, il a ouvert mon powermac que
j'avais posé sur son bureau. Il la connait mieux que moi, Marc, cette
machine. Tout ce qu'il y a dedans, ou presque, c'est lui qui l'y a mis. En
deux temps trois mouvements, il avait affiché le mail à l'écran.
- faut que je le copie. Je peux ?
- Sûr.
Il a attrapé un cable m'a relié à leur réseau. Il a pompé le fichier, et
s'est installé devant une de leurs grosses stations.
- je vais faire tourner une routine de décryptage, ça va prendre un moment.
Tu veux une part de pizza ?
- une routine de quoi ?
- décryptage. C'est codé, ton truc. Je ne sais pas qui a envoyé ce mail,
mais il ne veut pas que sa vie tombe dans le domaine public.
- attends, attends... te prends pas le chou, je m'en fous de ce truc.
- si, ça m'intéresse, moi. J'ai jamais vu ce genre d'encodage, et puis je
suis un vilain curieux, tu sais bien.
- c'est comme tu sens, hein. T'as quoi comme pizza ?
- chais pas. Regarde.
Alors je me suis pris une part d'hawaïenne, je me la suis passée au
micro-ondes, et j'ai regardé Marc à l'oeuvre...

Chapitre troisième : encore des traces de doigts

Dans un premier temps, il n'y avait pas grand-chose à voir : au bout de 5
minutes à regarder des lettres couleur ambre sur un moniteur poussièreux,
Marc est venu me rejoindre.
- ah, t'as pris l'hawaïenne ? c'est ce que je préfère...
- fallait réserver... désolé...
- c'est rien. Bon, je crois que ça va prendre au moins une heure. En
attendant, on va jeter un oeil à ces Internyls, tu veux ?
-oké
On s'est mis sur une autre machine, moins poussièreuse. Marc nous a
connectés au Net et a tapé l'adresse internyls.com.
Ecran noir. Au bout d'une seconde, une fenêtre Java s'ouvre, avec ces
simples mots : « back off, asshole »
Marc avait l'air vexé. « asshole toi même » . En grommelant , il a ouvert
un autre programme. J'ai vite renoncé à comprendre ce que je lisais dessus.
Marc lisait en jurant à chaque ligne.
- bon, je vois le genre. il ne veut pas de nous, et il voit ça à notre
adresse. Alors là, mon gros bébé, on va voir ce qu'on va voir...
Et il s'est mis à taper des commandes à une allure folle.
- Tu fais quoi là ?
- Attends, je vais t'expliquer.
Je suis allé nous chercher un Coca. Quand je suis revenu, Marc avait les
deux pieds sur le bureau et les mains derrière la tête.
- Alors ?
- Ben j'ai mis un traceur.
- Un quoi ?
- Un traceur. Le prochain mec qui va se connecter chez les interploucs là,
je vais tout savoir de lui; et je pourrai me faire passer pour lui.
- Euh... c'est totalement légal ça ?
- Ahum. Tu me passes le Coca ?
-Je vois. T'sais, je m'en fous moi. Va falloir attendre longtemps ?
- Sais pas. C'est pas forcément le périph, là-bas, hein.
- Et comment tu vas le savoir ?
- Tu verras, on peut pas le louper.
Juste à ce moment, la machine poussiéreuse s'est mise à beugler. Un truc
comme les klaxons d'alerte dans les sous-marins, dans les films. J'ai
décollé de 25 cm de mon siège.
- C'est quoi ça ?
- C'est la routine qui a fini de tourner. J'ai mis l'alarme à fond parce
que des fois avec la musique on n'entend rien. Viens, on va voir ton
fichier...
On est allés devant l'écran, et il y avait une simple ligne couleur ambre
sur l'écran qui disait : fichier au format Windows BMP encrypté avec Mazel
Tov
- Mazel Tov ? eh ben.... ton truc, c'est protégé avec un encodage inventé
par les militaires israéliens. Pas de la blague hein... Bon, voyons ce
bitmap de près...
Il a lancé un programme, et ligne après ligne sur l'écran est apparue...
une empreinte digitale. Une trace de doigt.

Chapitre quatrième : un gars pas très Net...

On s'est regardés, tous les deux, avec une franche envie d'éclater de rire.
Faut être un peu spécial pour balancer ce genre de trucs en e-mail. On
savait qu'il y avait un tas de fétichistes, mais là...
- Bon, on va bien se marrer, quand on aura trouvé le furieux qui fait ça.
- Oui, je suis impatient qu'il y en ait un qui se connecte, tiens...
- En attendant, on se fait un petit Warcraft ?
- Ok, mais je prends les Orcs !
- Ca roule...
Et on a commencé une bonne partie. Au bout d'un moment, Bruno est rentré.
Nous on était pliés de rire, surtout moi, parce que je venais de lui
polymorpher une horde de dragons. Marc riait de moins bon coeur, et j'était
tout content de moi.
C'est seulement au bout de quelques secondes qu'on s'est rendus comptes que
quelque chose n'allait pas : Bruno était tout pâle, et il venait en moins
de 5 secondes de fermer les 5 verrous de la porte d'entrée. Plus
inquiétant, dans la foulée il avait poussé un meuble deux fois gros comme
lui devant la porte, et le regardait, comme tout étonné d'avoir été capable
de ça.
- Euh. Tu sais, Bruno, ça me fait plaisir que tu aies à ce point envie de
me retenir, mais bon c'est peut être un peu extrème, comme mesure, non ?
- Chut. Taisez vous !
Marc et moi on s'est regardés, et on a en choeur éclaté de rire. Bruno
n'avait pas l'air content.
- Putain, taisez vous ! Ils sont devant la porte !
Petit moment de silence...
- Euh... qui ça ?
- Je sais pas, justement. Devant l'immeuble il y a 2 camionnettes noires,
et ça grouille de gros types chauves dans des bombers noirs. Plus
précisément, il y en a 4 agglutinés devant la loge de la concierge en train
de demander après nous.
Là, je me demandais si Bruno n'était pas en train de nous monter un des
plans foireux dont il a le secret. Mais je ne me suis pas posé la question
longtemps, parce que deux secondes plus tard ça a sonné à la porte. Et vu
le bruit, ils étaient quelques uns sur le palier. Ambiance...
J'ai jeté un oeil par le judas, on ne voyait rien. Un des mecs avait le
doigt dessus.
Ca devait être marrant à voir. D'un côté de la porte, nous, pétrifiés,
muets, affolés, et de l'autre côté de la porte, va savoir qui, mais
nombreux, gros, et avec les doigts pleins de gras.
Au bout d'un moment ils sont partis. On a encore attendu un peu avant de se
permettre d'inspirer, et Bruno a posé la question qu'il avait sur le coeur
:
- Bon, c'est quoi ce bordel ?
Et là, je lui ai dit :
- Je crois que ça vient de moi
Il m'a regardé d'un drôle d'air.
Pour garder une contenance, je suis allé jeter un oeil dans le judas. Ils
étaient partis, du moins c'est ce que je parvenais à distinguer. Car le
judas était recouvert d'une formidable empreinte digitale : une trace de
gras de plus.


Chapitre cinquième : Moi, vous savez, je n'y suis pour rien !

- Comment ça, ça vient de toi ? Qu'est-ce que t'as foutu ? Et pourquoi ça
se passe chez nous si ça te concerne toi ?
Là, Marc est intervenu, et a résumé l'histoire à Bruno.
Bruno, c'est un peu tout le contraire de Marc. Là où Marc fonce en hurlant,
Bruno s'assied pour réfléchir, et n'agit qu'après avoir compris ce qui se
passe.
Là, il a éprouvé le besoin de s'asseoir.
La pièce est restée silencieuse cinq minutes. Enfin quand je dis
silencieuse, c'est que nous on ne disait rien. Parce qu'elle n'est jamais
silencieuse, cette pièce. Entre la douzaine de bécanes qui tournent, tous
les périphériques qui vont avec, la clim, et en général la musique... Ou la
télé. ou les deux. J'omets volontairement les occasionnels : micro-ondes,
la sonnerie du téléphone, et le chien.
Puis Bruno a repris la parole :
- Bon. Faisons le point. Ton traceur, il donne quoi ?
- Rien pour le moment.
- Ok. On a deux options. Soit ils savent que tu as mis un traceur et ils
ont remonté la filière, soit ils ont compris le mécanisme de la fausse
adresse, à cause d'un mouchard, et ils sont venus ici pour avoir l'adresse
physique qui correspond à l'E-mail de Mac.
- C'est quoi un mouchard ?
- Un bête programme que tu mets en marche et qui note tout ce qui est tapé
sur ton clavier. Un truc pour les paranos ou les programmeurs. Dans le cas
qui nous préoccupe, je parie plutôt pour les paranos, note.
Pour la première fois depuis un moment, on s'est marrés.
- Ok. On va plutôt partir de l'hypothèse du mouchard.
- Pourquoi ?
- Parce que si j'ai bien compris, Internyls, c'est en Estonie. Et comme
vous avez mis le traceur il y a moins d'une heure, soit ces mecs ont une
flotte de Concorde privés, soit ils ont une antenne locale particulièrement
efficace. Et j'ai pas envie de penser qu'on a affaire à des mecs assez
nombreux pour avoir du monde en Estonie ET ici.
- Vu comme ça, je suis d'accord.
Quelqu'un a sonné à l'interphone. C'est Bruno qui a répondu.
- Oui ?
- C'est les pizzas !
Bruno s'est retourné vers nous, un sourcil relevé. Marc et moi avons fait
non de la tête : on n'avait pas commandé de pizzas.
Bruno a raccroché l'interphone.
- Les choses ont au moins le mérite d'être claires. A mon avis on n'a qu'à
attendre, ils vont téléphoner. D'ici là, on va tout de même fouiner un peu.
Et on va foutre un max de protections sur les serveurs. On va débrancher
toutes les lignes d'accès, et n'en garder que pour nous en sortie, sauf une
qu'on va brancher sur Oscar.
Là je me sentais un peu largué.
- C'est qui Oscar ?
- Oscar, c'est un cadeau qu'on fait aux gens qui essaient de pirater notre
système. Ca ressemble à un vrai système, ça se défend raisonnablement bien
contre les intrusions, mais ça finit par se laisser pénétrer si le mec est
pas tout à fait idiot. Et une fois qu'il est dedans, il a l'impression
d'être dans le système. Il est en fait sur une copie presque parfaite du
système. Mais les informations dedans sont bidon. Vraisemblables, mais
bidon. Et nous, le temps qu'il fait mumuse dedans, on a tout le temps qu'on
veut pour prendre des mesures. Et étudier la technique du mec. Des fois, il
y en a qui ont des trucs à nous apprendre...
Les deux internuls affichaient un sourire qui disait nettement qu'à leur
avis ces mecs là étaient plutôt rares.
Ils ont commencé à s'affairer autour de leurs bécanes. Moi je me sentais un
peu inutile, un peu coupable, et beaucoup embêté de les avoir impliqué
dans... dans... je ne savais trop quoi au juste.

Chapitre sixième : Ca se gâte.

Bruno avait raison, ça n'a pas tardé à bouger. Vers 15 heures, les deux
internuls avaient fini tous leurs préparatifs, et on était tranquillement
en train de se prendre un petit café quand le téléphone a sonné. Bruno, qui
avait tout naturellement pris la direction des opérations, a décroché. Il a
mis le haut parleur pour nous, en nous faisant signe de nous taire.
- Internuls bonjour !
- Bonjour monsieur
C'était une voix de femme. Le genre de voix qu'on met en doublage aux stars
genre Julia Roberts. Tout en sourire et en sous-entendus. Une voix calibrée
pour s'adresser à des jeunes hommes come les Internuls. On s'est tous souri
: les internuls ne se contentent pas de travailler ensemble, ils vivent
ensemble. Un coup dans l'eau, mais c'était tout de même bien essayé : ces
mecs là pensaient.
- Que puis-je pour vous ?
- Voilà, je corresponds régulièrement avec un de vos abonnés, son E-mail
c'est Mariton. J'habite assez loin de chez lui, et comme je passais vers
chez lui, on avait décidé de se rencontrer. Mais j'ai perdu son numéro de
téléphone, et on ne va pas pouvoir passer la soirée ensemble, je suis très
déçue, et je pense qu'il va l'être aussi. Alors je me suis dit que
peut-être vous accepteriez de me communiquer ses coordonnées ?
- Je suis désolé, ces informations sont confidentielles. Envoyez-lui un
mail pour lui redemander ses coordonnées, ou laissez-lui les vôtres.
- Mais je ne peux pas ! Je n'ai pas accès au net là où je suis !
Elle jouait très bien la comédie. Elle avait l'air désespérée. Bruno était
hilare. Il avait le plus grand mal à ce que ça ne s'entende pas.
- Ecoutez je veux bien lui transmettre un message moi-même, alors. Je vais
lui envoyer un mail. Donnez-moi vos coordonnées et...
- Bip, bip, bip....
On a tous les trois éclaté de rire. Et on s'est figés sur place, parce que
ça venait de resonner à la porte. Bruno m'a fait signe d'aller voir. Je me
suis faufilé sans bruit jusque la porte, et j'ai jeté un oeil par le judas.
Il y avait un mec sur le palier.
Et ce mec, c'était moi.
J'ai vérifié.
C'était bel et bien moi.
Sur une impulsion, j'ai viré le meuble que Bruno avait mis devant la porte,
et j'ai ouvert les verrous. Quand ils m'ont entendu faire, les Internuls
sont venus voir ce qui se passait.
J'ai ouvert la porte.
Et Bruno a de nouveau éprouvé le besoin de s'asseoir...

Chapitre septième : c'est de la science-fiction !
C'est pas qu'on n'avait rien à dire, mais là je crois qu'on manquait de
vocabulaire. Bruno était assis dans son fauteuil préféré, les yeux fermés,
et il respirait len-te-ment. Marc regardait par la fenêtre avec l'air de
croire que John Wayne allait arriver à cheval dans la rue et que tout
allait rentrer dans l'ordre, et moi, je regardais le nouvel arrivant. Enfin
je me regardais, quoi.
Lui, il était tout sourire, avec l'air de s'amuser immensément.
J'ai rompu le silence :
- Bon, va falloir que quelqu'un m'explique, maintenant.
Bruno a ouvert les yeux, Marc s'est retourné. Tous deux fixaient l'autre
comme s'ils attendaient la parole divine. Lui, il était hilare. Alors Marc
a soupiré, presque supplié :
- Allez, Mac2, dis-nous ce qui se passe, là.
Et le mec, enfin moi, a éclaté de rire :
- Alors vous, les sens unique, vous êtes vraiment comme je vous imaginais !
- Les quoi ?
- Les sens unique. Dites, si on commençait par refermer la porte ? J'ai pas
vu le film jusqu'au bout, mais je suis certain que vos copains, enfin je
veux dire nos copains en noir vont revenir. Allez, faites pas cette tête,
et allez me fermer cette porte ! Moi j'ai déjà assez de mal comme ça à
maintenir une image stable !
Je n'ai rien compris à ce qu'il disait, mais il y avait au moins un truc de
bon sens là-dedans : fermer la porte. Alors j'ai fait ça.
Pour être franc, la situation commençait à me courir sur le haricot. Je me
sentais carrément de mauvaise humeur, et au fur et à mesure que je
refermais les verrous, ma colère montait. Quand je suis revenu dans le
bureau, j'ai explosé.
- Bon, maintenant, machin, je sais pas qui tu es, ni comment tu t'appelles,
mais je suis sûr d'une chose, c'est que tu vas quitter ce sourire idiot et
que tu vas me dire ce que c'est que ce foutoir ! Tu vas m'expliquer comment
ça se fait que tu as ma tronche, mais aussi ce que nous veulent les
cauchemardesques, là, en bas, pourquoi ils t'ont laissé entrer, ce qu'ils
en ont à foutre de cette grotesque empreinte digitale, et tout le bordel
qui va avec ! Et tu vas me le dire MAINTENANT, sinon je te passe par la
fenêtre !
Marc et Bruno n'ont pas eu le temps de réagir, je me suis précipité sur
celui que Marc avait appelé Mac2, et je l'ai chopé par... rien du tout. Ma
main est passée à travers.
Il y a eu un long silence, le temps que je me relève après être passé à
travers Mac2 et m'être pitoyablement écrasé contre une armoire métallique.
Puis j'ai entendu Marc résumer la situation. Il a le sens de la formule,
Marc. Il a dit :
- Ho putain....
Ce gars a un talent. C'est exactement ce que je pensais aussi.


Chapitre huitième : sens unique
J'ai pris les choses en mains. Façon de parler.
- Commençons par le commencement. T'es qui ?
- Tu me demandes ça ? Toi ? Ben je suis toi.
- Ben tiens. On reprend au début. T'es qui ?
- C'est parce que t'es tendu que ça te fait pas rire ? Je suis toi, faut
t'y faire.
- Ah fais pas chier, hein, et si il y a quelque chose à expliquer, fais-le.
Et t'as intérêt à pas me raconter une connerie d'espace temps.
- Ca tombe mal, là, justement...
- Putain, quel foutoir , j'y crois pas !
Marc est venu me poser la main sur l'épaule.
- Calme toi, Mac. On n'arrivera à rien comme ça. Laisse-le raconter son
histoire, qu'on voie un peu à quel point on est dans la merde.
- Ok, vas-y, Mac2, dis-nous tout...
- C'est parti. Je sais pas exactement par où commencer, alors je vais faire
pratique : il est pas loin de 16 heures, on a le temps de s'y faire, vers
22 heures il y a feu d'artifice dans votre immeuble. La conclusion de
l'enquête dira fuite de gaz. Vous, il vous reste 6 heures pour être
intelligents, ou vous pouvez vous entraîner à jouer les cendres froides.
Bruno a gémi longuement.
Marc a perdu un fusible.
- Non, non, non, non et non ! Fais chier maintenant, Mac2. Lâche le morceau
!
- C'est ce que je suis en train de faire, vieux.
- Dis-nous d' abord comment tu sais ça !
- J'y viens. Tout découle du fait que vous êtes des sens unique.
- Recommence pas, hein ! Explique !
- Oui, oui. Bon. Vous êtes raisonnablement intelligents, tous les trois,
alors écoutez-moi bien. Vous avez tous lu à un moment ou à un autre un
roman de science-fiction où on parle d'univers parallèles, j'imagine. Eh
bien c'est un peu comme ça que tout fonctionne. Seulement tous les univers
ne sont pas égaux devant la cohabitation, si j'ose dire. Moi, de mon
univers, je vous voìs, je vous parle, et comme vous le voyez, je peux même
me projeter. J'aurais même pu directement arriver au milieu de vous, mais
je me suis dit que ça vous ferait peur, alors je me suis présenté à la
porte. Seulement votre univers à vous, on ne peut pas en sortir. Vous êtes
la risée de tout l'espace-temps. Vous et une autre branche. Les seuls à ne
pas pouvoir percevoir tout ce qui se passe autour. C'est pour ça que je
vous appelle les sens unique. Je suppose que c'est une erreur. Toutes les
autres branches peuvent communiquer entre elles dans les deux sens. Vous,
comme vous ne pouvez pas sortir, quand quelqu'un rentre en contact avec
vous, vous appelez ça des miracles, des apparitions, des hallucinations, ce
que vous voulez. Alors que c'est un truc normal. Alors il y a une sorte de
modus vivendi général : les autres branches vous foutent la paix. On évite
de s'immiscer.
- C'est ça. Et toi, pourquoi t'es là, à nous parler d'univers parallèles à
la con, alors qu'on est dans la merde jusqu'au cou, comme si t'étais en
train de prendre le thé ? ?
- Moi, je...
Dans le discours de Mac2, comme déjà une fois et comme ça allait souvent
être le cas par la suite, il y avait plein de trucs que je ne comprenais
pas, et un truc plein de bon sens qui me sautait au visage :
- STOP. Mac2, stop. Je m'en fous, là, tout de suite. C'est le coup de la
fuite de gaz que j'aimerais que tu m'expliques.
Marc a rajouté :
- Je suis d'accord. Je le sens pas, ce truc là.
Mac2 a acquiescé.
- Vous avez raison. Occupons nous d'abord des gros boeufs dehors.


Chapitre neuvième : trois pas en avant...
- Commence par le commencement, Mac2 : qui c'est ces types, et ils nous
veulent quoi ?
- Si j'ai bien compris, ces types sont des russes. Une sorte de mafia. Et
ils sont fâchés après vous. A cause du message que vous avez reçu. Ils en
ont besoin.
- Si c'est ça on n'a qu'à leur rendre, et ils nous foutent la paix !
- Non. Ils vont essayer de vous tuer.
- Mais pourquoi, si on leur rend ?
- Vous l'avez vu. Et même si vous leur dites que vous ne comprenez pas à
quoi ça sert, ils ne vous croiront pas.
- Mais on ne sait JUSTEMENT pas à quoi ça sert. C'est qu'une empreinte
digitale !
- Oui. Mais vous l'avez regardée ?
- Pas spécialement. Bruno, on peut jeter un oeil ?
Bruno s'est levé presque pesament, et a soupiré.
- Ouais. Venez voir.
Il s'est mis devant un écran, a tapé un tas de trucs, et s'est tourné vers
nous.
- C'est tout petit. C'est vectoriel. Mais si on l'agrandit...
Et il a commencé à l'agrandir, l'agrandir, l'agrandir. Et on a fini par
voir que les contours de l'empreinte étaient en fait du texte. Marc et moi,
qui n'avions pas pensé à regarder, nous étions médusés. Et plus ça
grandissait, plus le texte devenait lisible. C'était une suite
ininterrompue de formules mathématiques.
Mac2 a repris la parole.
- Voilà. C'est le mode d'emploi. Vous vous souvenez que je vous disais
qu'il n'y avait que deux dimensions qui étaient incapables de communiquer
avec les autres. Eh bien avec tout ça on peut les faire communiquer entre
elles, ces deux là. Passer de l'une à l'autre. Et ça on peut pas le
permettre. C'est pour ça que nous avons décidé de transgresser la règle et
que je vous ai contactés.
- Qui ça, nous ?
- J'expliquerai plus tard. Pour le moment il faut détruire ce fichier.
- M'en fous, du fichier, moi. Je veux que les affreux ils me fassent pas
sauter la tête, et qu'on leur file le fichier ou pas, tu le dis toi-même,
ça ne changera rien.
Derrière Mac2, Marc me faisait de grands signes. Ca allait du « tais-toi »
au « suis-moi ». Je me suis donc tu, et je l'ai suivi... il est parti vers
la cuisine en disant qu'il allait bien nous trouver quelques pizzas froides
dans un coin.
Une fois dans la cuisine, Marc a commencé à me parler en chuchottant. Et en
réitérant maintes fois le signe me demandant de me taire :
- Dis, tu le trouves pas un poil louche, le Mac2 ?
Moi, rien que le fait qu'il vienne d'une soit-disant dimension machin-truc,
ça me l'avait rendu éminemment suspect, hein. J'ai acquiescé
vigoureusement.
- J'veux dire : on lui demande rien, et pouf il vient nous sauver. Par
contre, pas question qu'il nous dise pourquoi. La seule chose claire c'est
qu'il veut qu'on détruise ce foutu fichier. Alors moi je voulais te dire :
j'ai laissé l'original du message sur ton portable. Si on décide de
détruire ce message, toi et moi tu sais qu'on a une copie. Moi je dirai
rien, j'ai pas plus confiance que ça. Je te laisse décider, mais je voulais
te dire ce que j'en pense, quoi.
Là j'ai commencé à voir rouge. Il n'avait pas forcément tort, le Marc. Il
tombait un peu trop bien, le Mac2. On était déjà bien dans la mouise avec
juste nos terriens. Arrive un alien, bon d'accord. Notre monde s'écroule,
bon d'accord. Mais si en plus l'alien nous raconte des conneries, là je ne
marche plus.
Il était peut-être temps de se bouger et de tenter d'y voir clair...


N.D.