Diogène imagine quelques avatars du 2ème Monde réglant leurs comptent avec des moyens pour le moins optionnels...
Ambiance
série noire... à couper au couteau. C'est long mais c'est bon.

 

Velours Rouge Sang

 

La chaise était installée au centre de l’étendue herbeuse. Le petit vieux était installé sur le siège, immobile. La corde qui les enserrait tous deux y était certainement pour quelque chose. Le grand balaise regardait la scène en penchant légèrement la tête, comme toujours lorsqu’il se sentait inspiré. S’il avait été peintre, il en aurait fait un tableau. S’il avait été photographe, ç’aurait été son plus beau cliché. Mais, en l’occurrence, il n’était rien de tout ça. Il ne savait faire qu’une seule chose, et comptait bien s’en acquitter avec talent.

Le sournois se fichait pas mal d’avoir introduit un élément aussi hétéroclite dans un paysage uniforme. Il avait choisi le jardin du Luxembourg pour une seule raison : personne n’y venait jamais. C’était même un des lieux les plus désolés de la ville. Ils auraient pu travailler dans un appartement, mais le balaise s’y était opposé. Le balaise ne travaillait qu’au grand air. Le sournois, qui avait lui même ses petites manies, s’était alors incliné.

Le vieux râlait doucement en crachant de temps à autres un filet de sang. Il avait tenté de résister quand les deux gars en noir avait sauté sur lui. La douleur était encore insignifiante. A ce stade, il souffrait plutôt de sa propre stupidité : il avait été un des premiers à voter pour le patch gore, et maintenant son joli bermuda était complètement maculé d’hémoglobine dans laquelle baignait des morceaux de dentier.

Le sournois s’approcha en sortant un rasoir de sa poche. Il promena la lame devant ses yeux et vit danser dans le reflet, par delà le gris de ses yeux, les petits lutins qui vivaient dans sa tête et le poussait parfois aux plus terribles, aux plus gratuites des atrocités. Mais cette fois-ci, le crime n’aurait rien de gratuit. Le gars s’étaient fait quelques ennemis. Suffisamment en tous cas pour que les deux flingueurs du 2M ( et accessoirement serial killers, mais jamais mass murderers... On a sa fierté ! ) palpent gros sur cette affaire.

Déjà, il faisait glisser le rasoir sur la gorge flasque et ridée du vieux. Celui ci avait la bouche grande ouverte sur un cri muet, bien qu’il hésita encore a écarquiller les yeux, tant il craignait de perdre une fois de plus son œil de verre. Une dernière fois.

Le sournois grogna : " alors vieux bouc, tu commences à peine à comprendre ? Ton compte est bon, mais il t’appartient encore de choisir la méthode. Figure toi que nos commanditaires aimeraient apprendre deux ou trois trucs avant que tu ne casses définitivement ta pipe. Si tu coopères, ça ira très vite et tu n’auras pas grand chose à regretter. Après tout, depuis le temps que tu arpentes le monde... "

" ouais ! Paraît qu’il est aussi vieux qu’Herode, le croulant ! " Sitôt après avoir dit ça, le balaise reprit une expression impassible. En général, sur une opération, il ne prononçait pas plus d’une phrase.

" C’est une expression, imbécile ! Et puis ce gars là serait plutôt du genre à avoir sali sa toge des résultats de son incontinence il y a longtemps déjà. Tendance Grèce antique, si tu veux mon avis. Bon. Nos commanditaires A - on va dire comme ça, ça sera plus simple - trouvent louche que tu ne te sois jamais présenté comme élu, alors que tu passes ton temps à ramener ta fraise à gauche et à droite. Il se demandent donc si tu ne ferais pas volontairement le jeu de ceux qui crachent dans la soupe et qui lorgnent du coté des concepts yankees. " le sournois eut une moue dédaigneuse en jouant du pouce avec le fil de son rasoir. Il était un fier partisan du travail à la française. " D’ailleurs, on a un témoignage. Une certaine V. et un certain K., que tu ne cesserais de harceler de tes plaisanteries douteuses, preuves de ta futilité. Et la politique ne se conjugue pas sur le mode de la futilité, abruti ! C’est donc que tu fais le jeu des autres, les glandus de la Tour. " Pas peu fier de sa tirade, le sournois attendit la réponse du vieillard.

" J’comprends rien à toutes ces histoires, m’sieur. J’suis juste un empêcheur de tourner en rond, c’est dans ma nature. Et vot’ mamzelle V., elle en fait de belles avec un m’sieur de l’accueil que je ne nommerai pas ! Mais j’ai déjà écrit tout ça, y’a pas scoop... Z’auriez pas un truc à boire, du genre sec ? "

" Mauvaise réponse ! " le sournois fit voltiger sa lame. " hop ! une oreille ! "

Pendant que le vieux glapissait de douleur, le tueur vêtu de noir contemplait le morceau de chair perdu au milieu du gazon. Quelque chose dans ce spectacle lui rappelait un film vu des années auparavant. Ca le mettait mal à l’aise.

" Alors, vieux fou ? Tu vas parler ? Nos commanditaires B, eux, pensent que t’es rien qu’un pseudo philosophe qui souhaite calquer des structures à la mord moi le noeud sur un monde cool, gai, ou il fait bon discuter sans soucis, bref un monde heureux ! Tu veux leur gâcher leur bonheur, à ces braves gens ? Hein ? c’est ça ? Tout ça pour lécher les bottes des grands chefs, des puppet masters, des hommes de l’ombre qui nous dirigent depuis leur tour d’ivoire et ont toujours quelque sombre dessein en tête ? " Le sournois reprit sa respiration. Il avait bien appris sa leçon.

" Comprends rien m’sieur. Pourriez pas parler de l’autre coté ? J’ai comme qui dirait un problème d’audition avec mon oreille gauche. "

Ziiiip ! un œil fendu en deux, dans le sens de la hauteur. Mais l’œil était resté planté sur le rasoir et le vieux ne semblait pas souffrir. Il riait même.

" Un œil de verre ! saloperie de vieille bique puante ! crois moi, tu vas trinquer. J’en ai étripé des plus coriaces ! Réponds plutôt à ma dernière question. Mes commanditaires C en ont plus que marre de tes sarcasmes. Alors que ces pauvres gens s’épuisent à satisfaire tout le monde, à proposer des tas de divertissements et à tenter d’ordonner la dure vie politique de ce monde, tu t’acharnes à rire de la tentation technocratique de certains d’entre eux et du jemenfoutisme assumé des autres. Tu serais pas à la solde de cette poignée d’élus qui voudraient toujours tout réformer, voire tout régenter ? ne nies pas ! On sait même que tu bosses avec certains d’entre eux. "

" Ah moi, m’sieur, des qu’il s’agit de boire un coup, j’suis pas bégueule sur mes fréquentations. Vous le buvez comment, vous, votre gin ? j’suis sur qu’on peut s’entendre... "

Le sournois se retourna vers le balaise. Il semblait épuisé. Les lutins étaient partis se coucher en baillant d’ennui.

" Putain gros, il me fatigue ! Finis le, j’ai même plus envie de jouer avec lui. "

Alors que le balaise s’approchait de lui en enfilant des gants, le vieillard écarquilla finalement l’œil. Il pouvait maintenant se le permettre, mais cette satisfaction fut brève.

" Bon, tu sais quoi, gros ? Ctrl + vol et on balance le macchabé dans le no man’s land ! "

 

Diogène

 
 Dernière mise à jour : 04/09/97 - Copyright 1997, Canal+ Multimédia. Tous droits réservés.