Le Marionnettiste

Il était marionnettiste.

Il avait fabriqué une belle marionnette chamarrée, toute d’or vêtue. Pourpoint de velours, calot à plume, bottillons de cuir : il en était fier, une belle petite marionnette.

Tous les jours elle se donnait en représentation, la belle petite marionnette. Cabrioles, envolées, tirades dithyrambiques : rien de trop beau, rien de trop fort pour elle ; aucune marionnette comme elle ne savait attirer l’attention.

Un jour dans le théâtre où elle officiait, la marionnette rencontra une autre marionnette. Une femelle. Romantique et séduisante: robe longue, chevelure flamboyante, des yeux verts ouverts à l’infini. Une ravissante beauté faite marionnette : instantanément il l’aima, et dans leur théâtre leur amour mutuel grandit de jour en jour.

Le soir dans son lit le marionnettiste, qui portait en son soeur sa marionnette, pensait qu’il aimait cette marionnette femelle, et l’autre marionnettiste femelle qu’il ne connaissait pas.

Il fit passer un message par les marionnettes. Veux-tu me rencontrer ? Dit-il. Je t’aime, dit-il. Rencontrons-nous, veux-tu ? Je veux te serrer dans mes bras, je veux entendre dans l’air les mots que me dit ta marionnette, je veux voir le corps qui anime ces mouvements qui me troublent. Elle ne répondait pas. Et puis : je ne suis pas ma marionnette, dit-elle. Je suis une personne, différente. Je sais, dit-il. Mais je t’aime. Dans mes bras je t’aimerai davantage, dit-il.

Alors la marionnettiste femelle céda. Un matin qu’il fit beau, un matin de Paris, devant un café, il vit la femme qui animait la marionnette femelle. Il vit alors que dans sa tête il y avait la beauté de la marionnette sans doute, mais il vit aussi que c’était une femme au visage flasque, au corps avachi, aux cheveux déteints, dont les mouvements ne répondaient pas aux siens, une femme qui ne fit en aucune façon bondir son cœur.

Sa bouche avait prévu de dire je t’aime encore ce soir là, mais les mots ne purent venir. Pourtant tellement de je t’aime étaient passés entre les marionnettes, alors ? Elle vit la déception dans ses yeux, longtemps la déception resta en elle aussi.

Mais quelques jours après, elle avait confectionné une autre marionnette, encore plus belle, encore plus séduisante, et lui aussi, encore plus chamarrée et virevoltante.

Tout était pour le mieux dans le monde des marionnettes.

Sylvie