INTEMPERIES

Le Stockholm’s Science and Technology Institute avait, pendant plus de quarante années consécutives, joui d’une réputation de sérieux et d’efficacité rarement égalée dans les domaines de la recherche scientifique et la mise au point de techniques de pointe révolutionnaires. Tout portait à laisser croire que rien ne pourrait interrompre l’inexorable ascension de ce creuset de génies où avaient vu le jour, entre autres, la douche ultrasonique, l’ascenseur gravitationnel et la théorie de la trajectoire de la tartine beurrée par rapport à la mécanique céleste. (Partant du simple postulat selon lequel la tartine beurrée entre toujours en collision avec la surface d’une planète, ou celle de n’importe quel autre corps sale flottant dans l’espace du côté du beurre, les physiciens du S.S.T.I. avaient ouvert à l’Homme les portes de l’exploration de systèmes solaires voisins, en éliminant les problèmes posés par les dépenses énergétiques inhérents à ces déplacements. Il suffisait en effet de positionner correctement une tartine beurrée sur n’importe quel bâtiment susceptible d’être expédié hors de la sphère d’attraction terrestre, pour que celui-ci soit invariablement attiré par le corps céleste le plus proche. L’orientation de la tartine faisant office de gouvernail, il était désormais possible d’atteindre n’importe quelle planète gravitant autour de n’importe quelle étoile.)

L’année 2013, et plus particulièrement le douzième jour du mois de Juin, qui devait selon toutes les rumeurs marquer d’une pierre blanche l’apogée du S.S.T.I. et ouvrir à l’Homme de nouveaux horizons scientifiques et philosophiques, fût pourtant l’année de sa fin.

En ces derniers jours de printemps, un printemps exceptionnellement clément comme s’accordaient à le dire tous les météorologues, se tenait comme chaque année au S.S.T.I. le meeting rassemblant toutes les pointures mondiales de la recherche scientifique, le seul dont la renommée inégalée était prise au sérieux par l’ensemble des membres de la profession.

Effectivement, les cinq premiers jours consacrés à la présentation des nouvelles inventions furent une réussite. Le hall du méga-amphithéâtre était encombré de machines bizarroïdes où s’entremêlaient des multitudes de fils multicolores s’enroulant autour d’instruments étranges dont les "Bip" résonnaient jusqu’au sommet du grand dôme surplombant toute cette agitation fébrilo-électro-magnétique. On assista notamment à la présentation du robot ménager autonome qui passe l’aspirateur, tond la pelouse et sort le chien (anti-moustiques en option), de la voiture à stationnement latéral éliminant tous les problèmes de créneaux, et des lunettes de soleil Sun-Tiger offrant un champ de vision cinq fois supérieur à la normale.

Le sixième jour, le S.S.T.I. présentait une invention révolutionnaire, attendue et annoncée comme devant transformer radicalement l’existence de l’humanité. Les plus grands physiciens étaint réunis dans le méga-amphithéâtre autour de l’étrange machine conçue par les chercheurs de l’institut. Après un bref mais néanmoins ennuyeux discours du Doyen Des Lieux, un technicien en blouse blanche procéda à la démonstration proprement dite. Il bascula un interrupteur et souleva un levier. La machine se mit à ronronner, tandis que les lumières de l’institut faiblissaient par manque d’énergie.

Une pluie fine se mit à tomber, fait passablement anodin qui aurait pu en temps normal passer totalement inaperçu, si ce n’est que :

Un ciel sans nuage était prévu ce jour-là

Elle tombait à l’intérieur de l’amphithéâtre...

Le public resta stoïque, croyant tout d’abord à un dysfonctionnement du système anti-incendie, mais s’échauffa brutalement lorsque la pluie fit place à une chaleur accablante. Partout on ôtait les vestes mouillées, puis séchées, puis à nouveau trempées de sueur.

Ce fut le moment que choisit le soleil pour disparaître et laisser place à une averse de grêle, occasionnant par là-même soixante-douze rhumes et une bonne demi-douzaine de bronchites. Lorsque la grêle fit place à la neige, la neige au brouillard et le brouillard à l’orage, le méga-amphithéâtre du Stockholm’s Science and Technology Institute était désert. Les chercheurs du monde entier avaient fui à l’extérieur, et promettaient aux responsables atterrés et stupéfaits que leur prochain meeting, ils pouvaient se le mettre à un endroit bien particulier où les meetings n'attirent d’ordinaire que très peu de monde.

La débâcle fut totale, la réputation du S.S.T.I. piétinée, et tous les rapports publiés par la suite dans les revues spécialisées achevèrent de le descendre en flammes, affirmant que jamais, au grand jamais, on n’avait vu de plus grosse fumisterie que cette pseudo-machine à se déplacer dans le temps...

NINIVE