D E    L A    S U I T E    D A N S    L E S    I D E E S

N°0006 - PAGE 2

LUNDI 18 JANVIER 1999

FONDATEUR : LA GUILDE DES LUEURS


Avatars sommes nous des êtres vivants ?

L’histoire commence dans un des recoins du 2m, un samedi grisâtre de l’hiver. A l’origine une question simple « mais qu’est ce qu’on fait là ? », puis des réponses moins simples... un court débat, puis une interrogation commune avec Thieum, que je pense commune avec d’autres personnes. Y’a t’il une vie dans le 2M ? C’est à dire retrouve t’on dans le 2M, les éléments nécessaires et indispensables à la mise en place d’échanges, de partages, de découvertes, caractéristique du lien social, de ce qui fait la vie ici bas dans le 1M. En clair sommes nous seuls ou non devant l’écran de notre ordinateur?

Certes le 2M se distingue par ses accueils, ses animations, ses clubs, sa famille, son journal, ses boutiques, et tout ce que chacun a pu y amener. Une auberge espagnole en quelques sortes, ouverte à tous pour le meilleur et pour le pire. En soi une initiative louable, et théoriquement intéressante.
Malheureusement le fait est que la mayonnaise ne prend pas. Combien d’entre nous se connectent un peu par hasard, pour voir si aujourd’hui il n’y aurait pas un tel ou une telle... qui trouvons lui, elle ou d’autres, et qui nous apercevons qu’on n’a finalement pas grand chose à dire ou à faire. Combien de fois en quittant le 2M n’éprouve t’on pas ce petit sentiment de frustration, une je ne sais quoi de dépit, léger mais présent.

La multiplication des animations, des options en tous genres, ne paraît alors que comme une fuite dérisoire, une tentative désespérée de mettre un semblant de vie, d’impliquer le plus possible les citoyens dans un nouveau monde, notre 2M... mais nous restons, et moi le premier, des citoyens virtuels. Il y a bien entendu des exceptions, et je leur adresse toute ma reconnaissance pour leur investissement, mais ils ne sont pas légions, fidèles parmi les fidèles, ils sont issus la plupart de l’ancien 2M celui de cryo (je ne soulèverai pas d’anciens et stériles débats puisque la page est définitivement tournée).
Alors que penser de ces aficionados du 2M, des accrocs asociaux comme l’imagerie populaire aime à définir les internautes, des idéalistes d’un nouveau genre ? Pourquoi seulement une paire de personnes se sentiraient réellement investies d’une vie sur le 2M, alors que d’autre la plupart ont encore du mal à y trouver leur marque ou leur intérêt malgré des visites régulières?
Outre le fait que ces aficionados constituent une portion congrue des citoyens du 2M, leur intérêt peut aussi s’expliquer par une maîtrise technologique plus grande, leur investissement personnel étant plus lié à l’aspect innovateur du 2M qu’à ses véritables objectifs humains. Mais je laisse aux intéressés le loisir de me répondre.

Je pense, et je ne parle pas pour moi seul mais aussi pour tout les anonymes qui s’y reconnaîtront, que résoudre justement la question de l’accessibilité et l’ergonomie (pour ne pas dire humanisation) du 2M résoudra aussi le fond du problème. Que nous le voulions ou non, nous sommes tous des êtres sensibles, dotés d’outils d’explorations de notre environnement très perfectionnés... et d’un esprit pour les comprendre et les interpréter. Limiter notre exploration de notre environnement, c’est limiter notre humanisation.

Il y a à ce sujet plusieurs aspects à prendre en compte dans le 2M, pour en expliquer les travers et les attraits :
L’aspect ludique, indéniable c’est lui qui assure son fonctionnement, son succès. C’est lui qui attire les visiteurs anonymes, c’est lui qui crée l’ambiance de convivialité, d’interactivité. Pouvoir découvrir un univers virtuel est une expérience grisante, que chacun d’entre nous affectionne. Et dans le 2M c’est son attrait premier. Par ailleurs cet aspect ludique permet de créer une ambiance de détente, il remplace pour beaucoup « l’épisode débile mais reposant du soir après le boulot ».
L’aspect social, plus contestable et pourtant indissociable de l’instauration d’une véritable vie dans le 2M, et en a été un des principes fondateurs. Le 2M sans les relations humaines n’est plus une réalité virtuelle, mais un simple jeu, un énième univers 3D. Et ici j’en profiterai pour faire quelques remarques en ce qui concerne justement les relations sociales dans le 2M :
D’une part un des aspects les plus marquants du 2M est cette proportion à céder au clanisme, version moins sympathique de la célèbre famille, il en est une déviance, un des aspects qui lui sont attachés les plus négatifs. La collectivité se resserrant, se fermant hermétiquement, et inconsciemment au monde extérieur. L’aspect clanique du 2M rend l’arrivée des nouveaux venus difficiles, voir désagréable et ce malgré le gros effort des accueils. Nous ne fonctionnons pas de la même manière que dans la vie courante, dans le sens où nos discussions privées ou tout du moins personnelles se passent aussi dans un cadre public, cadre dans lequel les nouveaux arrivants se trouvent contraints d’y trouver une place, ce qui ne va pas toujours sans mal. Par ailleurs cet aspect clanique est un piège, aucune véritable relation 2M n’est une relation d’engagement réciproque, elles restent superficielles et constituent de véritables miroirs aux alouettes ou chacun d’entre nous un jour ou l’autre finissons par tomber. Il est en effet difficile d’établir une relation de confiance, de respect, quand il est si facile de se cacher derrière l’anonymat d’un pseudo et la bonne volonté de quelques phrases échangées. L’universalité du net est une lame à double tranchant, suis je tolérant parce que je parle à des inconnus beurs, blancs, blacks, juifs, homo, ou orthodoxes... puis je être tolérant par ignorance entière et totale, déshumanisée, de l’individu auquel je m’adresse ? L’hypocrisie des relations à visages masqués et un piège, contre lequel nous avons tous envie de lutter... mais se révéler au grand jour, sous l’éclairage blafard de la technologie est un risque énorme, sans compter les dérives potentielles (pédophilie, harcèlement...). Malgré cela, cette impersonnalité est conciliante, et le retour dans la communauté d’une brebis égarée se fait très rapidement... facilitée par la superficialité et l’anonymat des échanges. Avantage de l’inconvénient, qui permet de garder la grande masse des fidèles.

Mais d’autre part l’arrivée permanente de nouveaux arrivants dans la zone d’accueil, perturbe continuellement les discussions, qui se trouvent le plus souvent ramenées à leurs points de départs, ou éludées, ce qui ne facilite pas un véritable échange. Les discussions tournent alors autour de lieux communs ou avec un peu de chance, sur quelques sujets intéressants mais rarement débroussaillés.
A ces premiers points vous me direz que les PC et les autres cellules du 2M constituent des solutions simples et efficaces. Et ils permettent en effet un échange limité mais privilégié. Malheureusement je ne pense pas qu’une PC soit un modèle de relation sociale dans un groupe, et d’autre part la relative faible fréquentation du 2M rend l’éparpillement des citoyens difficile et contraire aux objectifs (selon moi) du 2M. Pourquoi venir sur le 2M pour rencontrer 3 avatars dans un coin, certes en 3D... mais seulement à 3, et de manière limitée. Il n’est qu’à juger de la durée des échanges ainsi crées... 15 minutes maximum en moyenne (d’expériences personnelles).
En ce qui concerne la superficialité des échanges, on peut toujours avoir beau jeu de flatter le caractère détendant et léger du 2M. Je pense néanmoins, et sans me faire la moindre illusion, qu’il est aussi de la responsabilité de chacun de minimiser au maximum les jeux d’apparences. C’est une règle qui s’applique d’elle même entre individus dans le 1M, dure à mettre en place dans le 2M, et qui a aussi des effets pervers. Dois je réellement m’investir des relations faites sur le 2M, quelle limite dois je mettre entre ma vie 2M et 1M... où se trouve mes intérêts et mon équilibre ?

Enfin une autre réalité concerne les silences, qui dans le cadre d’une relation sociale 1M constituent de véritables modes d’échanges entre les individus. Or un silence dans le 2M du fait de la non-présence effective de l’individu concerné, revient à une absence. Le mode d’échange et de relations dans le 2M passe nécessairement par le dialogue... ce qui amène à des situations invraisemblables, des délires qui s’ils ont une certaine saveur, que je ne conteste pas, sont quelque part de l’anti-communication. Vous me direz que cette remarque n’a pas de sens, mais il me semble que c’est justement ce manque de présence qui handicape les échanges. Combien d’entre nous agrandissons au maximum la fenêtre de dialogue au dépens de la fenêtre graphique. Cette attitude s’explique et permet de faciliter la discussion... qui encore une fois prend le pas sur la communication. La communication la vrai, nécessite en effet autre chose qu’une simple fenêtre de dialogue .. les émotions, les macros, les avatars programmés ne sont qu’une réponse partielle. Je pense qu’il serait vraiment intéressant d’explorer plus à fond ce domaine. On ne pourra se contenter si on veut évoluer vers une véritable communauté, en terme d’échanges et de communications entre individus, en terme aussi d’investissement émotif et personnel, qu’à partir de solutions plus ergonomique. Des solutions moins concentrées sur le clavier, des solutions ou l’avatar sera plus qu’une expression de la création artistique ou de l’originalité de son heureux propriétaire, mais véritablement un reflet de l’individualité et des humeurs. Bien entendu ces solutions ne sont pas pour demain, et je pense que certains aménagements du 2M peuvent dores et déjà améliorer la situation. Par ailleurs ces aménagements sont évidemment à reprendre dans la création du 3M. Il faut impérativement éviter que les mondes virtuels ne soient qu’un immense miroir, projection consciente ou non de nos propres illusions, une relation limitée de soi à soi devant le reflet électrique de notre écran.

Je propose aujourd’hui quelques solutions sommaires, et qui sont loin d’apportées des réponses définitives, mais ce sont déjà des premiers pas.
Ainsi une différenciation entre plusieurs grands lieux d’accueils à thèmes, permettrait de diminuer le turn-over des arrivées/départs, de partager les citoyens selon leurs centres d’intérêts personnels, et faciliterait ainsi les véritables échanges. Un accès filtré aux cellules pendant les heures des clubs ou des animations, permettrait de conserver la qualité de ces derniers... avec l’inévitable contrepartie... le cloisonnement. Mais je crois qu’aujourd’hui il est illusoire de compter sur le respect de chacun. Je ne le condamne pas, en désespoir de cause, tout le monde un jour ou l’autre finit par squatter des discussions dans lesquelles il n’a pas forcément sa place ; la recherche d’une véritable relation d’échange mène parfois à de drôles de situations... très superficielles, et pourtant désespérément convoitées.
D’autres aménagements pour accroître l’ergonomie du 2M sont aussi à penser... des touches raccourcis pour les expressions corporelles, les macros... Afin de faciliter le plus possible et par tout les moyens un axés humanisé, reproduire une partie plus importante de ce qui fait les confrontations sociales dans le 1M. Par ailleurs peut être devrions nous mettre en place de véritables animations, c’est à dire des lieux à thèmes ou une personne se chargerait d’animer, mais surtout de mettre en relation les gens entre eux, qui sans intervenir directement sur les débats présenterait les nouveaux arrivants, relancerait les discussions, aiderait aux échanges... Ce n’est aujourd'hui pas du rôle des accueils, qui se doivent d’assurer les conseils techniques, et de présenter l’actualité du 2M. Je crois que ce rôle peut échoir à chacun d’entre nous, et plus particulièrement aux responsables des clubs et des animations.

Le paradoxe aujourd’hui est bien là, le plus grand réseau d’échange de savoirs et de connaissances qu’est le net, est complètement incapable de mettre réellement les individus en relation les uns avec les autres. Peut être aussi manque t’on de recul ou de maîtrise vis à vis de cet outil, peut être nous faut il progressivement nous adapter, mais je crois qu’on y perdrait toute notre humanité. Non il me semble que c’est encore à nous de le faire, d’inventer sans cesse de nouvelles solutions, de rendre encore plus conviviale ce qui n’est encore qu’un magma de technologie.

Théo ;-b - UIN 12466154

 

TOURNEZ LA PAGE >