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Interview d'Alain et Frédéric LE DIBERDER

L'aventure du deuxième monde

Interview du 20 juin 2002

Propos recueillis par Jean-Michel Flamant pour Web3d-fr.

Frédéric Le Diberder
Frédéric Le Diberder
Alain Le Diberder
Alain Le Diberder

Après avoir été conseiller au cabinet du Ministre de la Culture de la Communication de Jack Lang (1989-1991) et conseiller pour les programmes et la recherche du Président de France Télévision, Alain entre chez Canal au poste de Directeur des nouveaux programmes en 1994.

Frédéric travaille chez Cap Gemini depuis 1987. Il est entre autre responsable du projet INFOROUTE (infrastructure internet, paiement sécurisé, etc.). Il entre chez Canal+ en tant que Directeur de la recherche et développement des activités On-Line en 1997. Ensemble, les deux frères créent le Deuxième Monde.

Comment vous est venue l'idée du deuxième monde ? Qu'est-ce qui vous a poussé à monter ce projet ?

L'idée est née à la fin 1993. A l'époque nous ne travaillions pas ensemble. L'un était à France Télévision, à Paris, l'autre à Cap Gemini, à Grenoble. Mais nous venions de sortir « Qui a peur des jeux vidéo ? » et nous réfléchissions aux jeux vidéo du futur. Notre piste était de combiner les aspects communautaires en ligne des MUDs américains (Multi-User Dungeons), qui restaient très austères mais passionnants, et les nouveaux jeux en gestation, dans la lignée d'Alone in The Dark, en « vraie » 3D.

Nous avons commencé à étoffer le projet, puis nous sommes allés voir Cryo et nous en avons parlé à Philippe Ulrich, Didier Bouchon et Marcello Morra. En quittant France Télévision pour Canal Plus au début de 1994, nous avons rencontré une équipe enthousiaste qui voulait positionner Canal Plus comme un acteur majeur du multimédia. Le projet a été accepté immédiatement et lancé à l'automne 94.

Pochette de la 1ère Version de 2M
Pochette de la 1ère Version de 2M

Combien d'abonnés le deuxième monde a-t-il accueilli ?

La première version du 2ème Monde, sur cdrom, a connu environ 20.000 inscrits. Quand à la seconde, elle fonctionnait en tant que service offert aux internautes du site web de CANAL+. Il y avait plus de 200.000 inscrits dans cette base, mais il est vrai, tous n'étaient pas concernés par la communauté en 3D. Il faut rapporter ces chiffres au nombre d'internautes en France qui était au départ de l'ordre de quelques dizaines de milliers de personnes. Le 2ème Monde a d'ailleurs « mis au monde » de nombreux internautes qui étaient ravis de pouvoir s'appuyer sur les conseils et les explications des accueillants dont la mission allait bien souvent au-delà de la simple vie de la communauté, mais jusqu'aux explications techniques en tous genres.

Quel a été l'apport du deuxième monde pour Canal+ ?

L'apport n'a pas été globalement important (Canal Plus était en train de dépasser les 4 millions d'abonnés et le multimédia était encore une toute petite chose) mais il faisait partie d'un tout. A l'époque, Canal Plus c'était la modernité, et il y avait tout un bouquet d'innovations (la télévision numérique, le pay-per-view, Cyberfalsh, Cyberculture, etc) dont le Deuxième monde faisait partie. Avec le soutien d'Alain De Greef, Canal Plus a consacré une des dernières émissions de Nulle Part Ailleurs version Philippe Gildas au Deuxième Monde, en juin 1997.

Le deuxième monde a t-il gagné de l'argent ?

Le 2ème Monde a eu de bonnes recettes. Les efforts marketing autour du produit ont été vraiment remarquables et dans ce domaine aussi, le 2M a apporté de nombreuses innovations. La commercialisation d'espace en 3D était déjà une nouveauté, mais les bannières de pub, les opérations jumelées (TAM-TAM) étaient également des premières regardées avec grand intérêt à l'étranger. Mais si le 2ème Monde a gagné de l'argent, il en a également coûté beaucoup.

Quand nous avons lancé le Deuxième Monde, les recettes publicitaires initiales en faisaient le premier support publicitaire on-line. Mais, globalement, sur les quatre ans de vrai fonctionnement, l'opération a été déficitaire, mais infiniment moins que tout ce que le groupe a lancé plus tard. Disons que le 2M a été un des projets Internet les moins déficitaires de France, et il avait de l'ambition

Copie d'écran du 2ème Monde 1ère version (Cryo)
Copie d'écran du 2ème Monde 1ère version (Cryo)

Initialement, quels étaient les partenaires sur le projet (Logiciel, modélisation, publicitaire etc.) ?

Le projet était piloté par CANAL+. Numériland a été le partenaire historique pour la commercialisation des espaces. Cap Gemini s'est chargé de l'hébergement et du développement de fonctions comme le porte-monnaie électronique, malheureusement peu utilisé car uniquement proposé pour les services d'envoi de messages TAMTAM. CANAL+ a fait appel à Cryo pour la première version du logiciel et pour les graphismes.

Le deuxième monde était initialement distribué sur un Cd-Rom avec la technologie de Cryo, vous êtes passé ensuite à une techno Blaxxun (entièrement On-Line et gratuit). Pourtant, la vente d'un CD pouvait vous assurer un modèle économique. Pourriez vous nous exposer les raisons et le déroulement du passage de SCOL à Blaxxun ?

Contrairement à une idée parfois répandue, la première version du 2ème Monde n'était pas développée avec la technologie propriétaire SCOL de Cryo. Ca n'a d'ailleurs jamais été le cas. La version sur cdrom était développée, comme dans le cas d'un jeu vidéo, à partir d'un moteur 3D temps réel et tout le logiciel serveur et client était entièrement ad hoc.

Nous avons toujours combattu l'idée de la gratuité des contenus sur Internet. La décision de changer le modèle économique et technique du 2ème Monde a été guidée par la volonté de bâtir une audience plus large d'une part, et de faciliter les mises à jours du produit d'autre part. L'évolution était une promesse de départ du 2ème Monde, et le fait d'avoir à presser un cdrom à chaque version engageait des frais que le faible nombre d'acheteurs ne pouvait pas justifier.

De plus, à l'époque, en 1997, on était en pleine période du tout gratuit. La guerre entre Microsoft et Netscape faisait encore rage. Le modèle économique dominant était celui de la publicité on-line. Le coût pour mille des bannières de pub était de l'ordre de 400F à l'époque. En abaissant les coûts de production du 2ème Monde, nous avons pu rendre très raisonnable le coût de fonctionnement de la communauté.

CD du 2ème Monde, deuxième version (incluant Blaxxun et Avatar Studio)
CD du 2ème Monde, deuxième version
(incluant Blaxxun et Avatar Studio)

Une fois la décision prise, les choses se sont accélérées. Cryo voulait imposer SCOL, techniquement et économiquement. Notre vocation étant de développer des contenus, nous préférions choisir une technologie standard, plus ouverte et surtout déjà éprouvée. Nous voulions éviter les solutions maison pour ne pas ajouter à la difficulté de gestion d'une communauté virtuelle les problèmes de stratégie de développement d'une technologie. C'est pourquoi nous avons choisi, sous les recommandations initiales de Cryo, la plateforme Blaxxun.

Nous avons alors entamé la reconstruction de la communauté par les équipes internes de CANAL+ à partir de rien. Le procès en cours avec Cryo nous obligeait à développer toutes les scènes 3D à partir de rien. Nous avons eu une semaine pour tenter de créer l'équivalent des décors qui avaient été développés en plusieurs années. Au départ, il faut admettre que les scènes étaient assez décevantes, mais peu à peu nous nous sommes améliorés. Avec la Place des Vosges, nous nous sommes rendus compte que le choix technologique était le bon, car même aujourd'hui cela reste une des plus belles scènes 3D sur Internet.

D'un point de vue purement technique, il faut également resituer le contexte de l'époque où les cartes 3D étaient émergentes. Le moteur du 2ème Monde première version ne gérait tout simplement pas ces cartes et était donc uniquement logiciel. Nous avons fait le pari de miser sur les progrès des cartes 3D pour se concentrer sur les outils de gestion de la communauté. Chaque évolution des cartes 3D jouait en notre faveur, en améliorant sans cesse la qualité et la rapidité des scènes 3D.

Blaxxun, fournisseur de la technologie de base, et non pas partenaire comme c'était le cas avec Cryo s'est révélé très fiable et nous a apporté tout le soutien dont nous pouvions avoir besoin.

Malgré l'insistance de la communauté, les promesses d'une administration faite par des bénévoles, Canal Numedia a décidé de fermer le deuxième monde. Quelles sont, à votre avis, les raisons de cette fermeture ?

N'étant pas partie prenante dans cette décision, nous ne pouvons pas commenter l'attitude de Canal Numédia. La rentabilité a sans doute joué un rôle, pourtant au début de 2001, le 2ème Monde ne devait pas coûter grand-chose à cette société. Plus probablement, Canal Numedia n'a pas compris quels avantages elle pouvait tirer de cette expérience.

Le Louvre, 2ème Monde deuxième version (Blaxxun)
Le Louvre, 2ème Monde deuxième version (Blaxxun)

Techniquement, commercialement ou fonctionnellement, que manquait-il au deuxième monde ou qu'auriez-vous aimé mettre en place en plus de ce que vous avez fait ?

Même si les technologies ont mûri, monter une communauté virtuelle reste cher : Achats des licences, hébergement, modélisation, développement complémentaire etc. A votre avis, existe t il un modèle économique viable pour ce type de projet ?

Une idée fondatrice du 2ème Monde était l'idée de la simulation de la vie. La version 3 d'Avatar Studio devait intégrer des notions d'héritage génétique. Nous avions entamé une collaboration avec l'université de Paris 6 pour aller dans ce sens. L'idée étant qu'un avatar véhicule un patrimoine (apparence physique, habitude de fréquentation dans la communauté, liens web, ...). Tous ces traits de « caractères » allaient être échangés au fil des interactions de sorte que chaque avatar ait une personnalité vraiment unique et qui évolue dans le temps. Nous n'avons pas été suffisamment rapides pour mettre en place cette idée.

Le problème du modèle économique des communautés n'est pas tant du coté des coûts qui sont effectivement maîtrisés aujourd'hui. Certes, en abaissant le coût des licences, on faciliterait encore la mise en place de communautés, mais le problème vient surtout du coté des recettes. Et plus directement, le problème est celui de l'utilité de ces communautés 3D. Il n'est pas suffisant de créer de superbes décors en 3D avec des interactions. On peut attirer les technophiles au début, mais par la suite ils s'en iront vers d'autres lieux encore plus modernes, nouveaux. Le but n'est pas de faire le salon virtuel de la 3D. Pour bâtir une communauté virtuelle en 3D, il faut raconter une histoire à son visiteur, qu'il ait la possibilité d'y jouer un rôle, et qu'il voit le monde changer. A partir de là, tous les bénéfices des communautés virtuelles peuvent se dégager : développement de lien social, plateforme de commerce électronique, échanges.

Quels sont vos regrets sur 2M ?

Qu'il n'existe plus aujourd'hui. Que les efforts consentis par tous ceux qui l'ont aimé et soutenu n'ait pas été suffisamment reconnus. Que l'on n'ait pas pu mettre en place toutes les dimensions du projet.

Source : http://www.web3d-fr.com/articles/Portraits/2002-LEDIBERDER/index.php

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